Pour comprendre le processus d'acquisition du langage chez le jeune enfant, il faut envisager le langage humain dans sa dimension multimodale : le locuteur combine des phonèmes pour former des mots et des mots pour former des phrases, mais il doit également articuler ses verbalisations avec la prosodie de sa langue, avec des paramètres posturo-mimo-gestuels, et surtout (et avant tout), il doit adapter son langage à la situation et s'articuler avec l'autre, son partenaire dans l'interaction.Le nouveau-né est exposé dès sa naissance (et même avant, in utero) au langage et manifeste très tôt des aptitudes à la communication, à l'interaction avec son entourage (Boysson-Bardies, 1996). Les différents paramètres constitutifs du langage vont se structurer progressivement : le nourrisson va d'abord intégrer les règles de l'interaction, puis va entrer dans le langage par la prosodie et le geste, pour accéder enfin au langage articulé.L'articulation entre ces différents niveaux est progressive et le processus d'acquisition se caractérise par un va-et-vient entre structuration « mécanique » du langage, mise en place d'un « moule », d'un « format » (interaction et prosodie), et structuration « linguistique » (phonologie, morphosyntaxe, sémantique, pragmatique), les différents acquis s'intégrant dans des formats de plus en plus complexes.Cette capacité d'articulation, à l'intérieur des différentes modalités constitutives du langage, entre les différentes modalités, et avec autrui, est au cœur du processus d'acquisition. Il arrive toutefois que des enfants présentent des dysfonctionnements dans le développement (voire une absence de développement) du langage, comme c'est le cas dans l'autisme, et n'accèdent pas aux combinaisons morphosyntaxiques. Cependant, certains d'entre eux semblent mettre en place les différents paramètres constitutifs du langage au cours de leur première année (Sheinkopf et al., 2000).Nous tenterons d'illustrer les différences entre développement normal et développement autistique et de cerner les limites du développement langagier de l'enfant autiste, en observant les étapes de la construction du langage et particulièrement l'articulation des différents paramètres qui le constituent (vocalisations, verbalisations, prosodie, mimo-gestualité...). En nous appuyant sur des études longitudinales d'enfants tout venant et d'une enfant autiste entre la naissance et deux ans, nous essayerons de montrer que l'âge de 18 mois semble constituer l'âge-charnière pour l'articulation des différentes modalités, à savoir la syllabation, l'intonation, les mimiques, les gestes et l'intégration des règles d'interaction, préalable nécessaire au bon fonctionnement du langage et de la communication.En effet, chez l'enfant autiste, même si on constate souvent un développement plus ou moins conforme avant 18 mois, les dysfonctionnements communicatifs et langagiers deviennent souvent saillants à cet âge (Baron-Cohen et al., 1992 ; Maestro et Muratori, 2005). Ils peuvent être reliés aux difficultés d'articulation des différentes modalités constitutives du langage, qui représenteraient pour ces enfants une charge cognitive trop importante. Par exemple, une mise en conformité de la syllabation s'accompagnera d'une atypie de la prosodie, et inversement, une prosodie conforme s'accompagnera de productions comportant des syllabes non canoniques. Les difficultés d'articulation de l'enfant autiste se situent également au niveau du pointage. En effet, dans le cas où il apparaît, il diffère qualitativement de celui de l'enfant tout-venant : l'enfant autiste est incapable, notamment, d'articuler les différents paramètres qui accompagnent le geste (regard sur l'objet, regard sur l'adulte et vocalisation) de façon simultanée. Nous illustrerons ce point grâce à des comparaisons de pointages d'un enfant autiste et d'enfants tout-venant à 15 mois.