Recension de Wersinger, A.-G., Platon et la dysharmonie, Paris, Vrin, 2001
Résumé
Au regard synoptique et plein de hauteur du philosophe dans les Dialogues de Platon s'oppose comme par contraste un style complexe de l'écriture, un partage des voix entre les interlocuteurs parfois troublant. Parce que la dialectique se heurte à des objets complexes qui ne se laissent pas réduire à une forme, et parce qu'elle se met au défi de les décrire, elle doit emprunter certains modes de description au risque de mimer son objet dans sa complexité. Or, ces modes, Platon les trouve dans les paradigmes d'explication qu'offrent certains héritages présocratiques (Empédocle et Héraclite en particulier) et la Nouvelle Musique, dont la dialectique se réapproprie certains traits tout en condamnant l'ensemble de cette « harmonie chromaticiste » en l'appelant « dysharmonie ». Une remarque sur le titre s'impose. Platon et la dysharmonie, Recherches sur la forme musicale, n'est pas une étude sur la conception platonicienne de la musique, au sens où E. Moutsopoulos (La Musique dans l'oeuvre de Platon, Paris, P.U.F., 1959) avait proposé une synthèse sur les prises de position de Platon relativement à la musique de son temps. Il ne s'agit pas davantage d'une reconstitution de la Nouvelle Musique comme discipline autonome dont Agathon dans le Banquet est un des représentants. Car au fil des chapitres, c'est de physique, d'épistémologie, d'éthique et de politique qu'il s'agit ; la musique n'est pas un champ théorique (l'harmonique) et pratique (l'acoustique) indépendant d'autres domaines d'investigations, mais se constitue en paradigme d'explication et de description du réel qui concurrence la philosophie. La « dysharmonie » dont Platon décrit minutieusement les mécanismes représente un paradigme descriptif qui va à contre-courrant d'une figuration organiciste du réel, du discours, de l'âme et de la cité.