La success story du label disciplinaire "ethnomusicology". Contribution à une sociologie de l’étiquetage scientifique - Université Paris Nanterre Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Zilsel : science, technique, société Année : 2020

La success story du label disciplinaire "ethnomusicology". Contribution à une sociologie de l’étiquetage scientifique

Résumé

Suivant une thèse classique mais largement battue brèche en sociologie des sciences, l’émergence et le développement de nouveaux domaines de savoirs seraient à rapporter aux jeux de contiguïté entre disciplines plus anciennes et aux déplacements d’acteurs marginaux et/ou déployant des stratégies non classiques au sein de leur discipline. Cette vision de l’apparition de nouvelles disciplines conforte un modèle plus large de l’innovation scientifique qui veut que par la friction, le croisement et les transfuges se forme le nouveau. Comprise comme issue de la rencontre de deux domaines qui lui préexistent, l’ethnomusicologie représente aujourd’hui, pour la sociologie des sciences, le parangon de la discipline hybride, qui résulterait d’une spécialisation et d’une fragmentation des savoirs. Dans les histoires de l’histoire de l’ethnomusicologie les années d’après-guerre représentent un repère conventionnel. L’introduction du nouveau label « ethnomusicology » au cours de cette période est ainsi volontiers considérée comme emblématique de ce temps de recomposition. Cette décennie 1950-1960, désignée rétrospectivement par les praticien•ne•s de la discipline comme fondatrice de l’histoire de l’ethnomusicologie mondiale, demeure, paradoxalement, très variablement documentée. Cet article propose de revenir sur cette période déterminante pour les sciences de la musique et de renseigner les modalités et les conditions sociales de l’adoption transatlantique du nouveau label disciplinaire. Le choix de la dénomination « ethnomusicologie », qui renverrait à une double parenté disciplinaire, semble en définitive pour beaucoup dans le succès d’un certain modèle explicatif de la recomposition de la discipline au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’étude de l’introduction du nouvel étiquetage scientifique invite à nuancer ce modèle de développement du monde savant en régime discipliné. Partant d’une entrée localisée, se dessine ainsi un modèle alternatif de compréhension de l’expansion mondiale de l’ethnomusicologie. Dans le sillage d’études récentes qui ont souligné l’intérêt d’une approche transnationale, en l’occurrence ici transatlantique, des circulations des savant•e•s et des savoirs et des dynamiques de développement scientifiques, ce cas invite à une réécriture différenciée de la recomposition disciplinaire en fonction du contexte national. Elle se comprend également en lien avec une écologie inédite d’organisations professionnelles concurrentes qui émergent dans cette période de reconstruction. L’émergence de ce label et d’une nouvelle tradition disciplinaire connexe est également à resituer dans l’histoire longue du développement des sciences de la musique. Au-delà de cette appellation en commun, se découvre un intérêt partagé pour des répertoires patrimoniaux, « exotiques », « primitifs », « de la tradition », qui eux-mêmes présentent tous une caractéristique commune : leur anhistoricité. La recomposition intervient ici au terme du processus de primitivisation qui est achevé à cette date, et qui rend possible le rassemblement, de part et d’autre de l’Atlantique, de répertoires très hétérogènes sous une catégorie générique articulée à leur caractère immémorial. En ce sens, la constitution de l’ethnomusicologie apparaît comme le produit d’un processus historique au cours duquel divers protagonistes, pour beaucoup non liés au milieu académique, concourent à assigner certains répertoires musicaux, portés par des populations vivantes, à une anhistoricité, un en deçà de l’histoire. Ceux-ci sont distingués d’un répertoire « moderne », dont l’histoire comparée de la la musicologie s’attachent à décrire les progrès. Partant, cette tradition renouvelle également les lignes de front qui marquent durablement l’essor de la discipline de l’ethnomusicologie. Le double mouvement de désignation et d’occultation qu’induit la labellisation contribue en effet à tracer de nouvelles frontières au sein du monde des sciences de la musique. En dépit de nombreux efforts pour se désigner d’une façon unifiée, sans le trait d’union, le domaine oscille, depuis la fin des années 1950, entre une orientation musicologique et une orientation anthropologique.
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Dates et versions

hal-03043180 , version 1 (13-12-2021)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03043180 , version 1

Citer

Isabelle Mayaud. La success story du label disciplinaire "ethnomusicology". Contribution à une sociologie de l’étiquetage scientifique. Zilsel : science, technique, société, 2020. ⟨hal-03043180⟩
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