Violence verbale au Moyen Âge : de la performance littéraire au discours juridique - Université Paris Nanterre Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2018

Violence verbale au Moyen Âge : de la performance littéraire au discours juridique

Sabine Lehmann

Résumé

Au centre de notre étude se trouve le concept de la violence verbale et ses réalisations langagières dans la société de la fin du Moyen Âge (XIIIe – XVIe siècles). Nous caractérisons la violence verbale comme un phénomène social omniprésent qui n’est aucunement une modalité accessoire des rapports sociaux. Elle se développe dans le domaine d’une histoire immédiate, auprès de ceux qui sont les premiers concernés par l’échange. C’est à partir d’un corpus de textes représentatifs des périodes de l’ancien et du moyen français que nous nous proposons d’apporter un éclairage linguistique sur le phénomène de la parole scandaleuse en tant que manifestation de l’oral, ses réalisations langagières et son essence (dimension sociale et dimension performative ; insulte personnelle ‐ rituelle). En effet, on trouve une gamme assez large de paroles outrageantes dans la littérature. À de nombreuses reprises les récits laissent la place à des dialogues animés entre les personnages où le vocabulaire injurieux peut apparaître. Nous inscrivons notre étude dans le cadre théorique des travaux de D. Lagorgette qui s’est intéressée à la violence verbale dans des textes littéraires de la période du moyen français en insistant sur l’importance des termes d’adresse qui marquent la présence d’actes perlocutoires et favorisent le succès d’actes de langage menaçants. Nous utiliserons les textes littéraires dans une perspective de comparaison, car ce qui nous intéresse plus particulièrement, ce sont les pièces judicaires (documents d’archives de juridictions, lettres de rémission, plaidoiries extraites de registres du parlement) qui sont une des principales voies de la connaissance de ce langage hostile. La prise en considération de ce type de document permet d’analyser la violence verbale dans son contexte réel et avec toutes les conséquences juridiques qui en découlent. En effet, cerner l’invective revient à cerner la démesure verbale qui peut aller jusqu’à impliquer une sanction publique. Il s’agit d’étudier sous quelle forme (termes d’adresse, interjections, menaces de supplices…) et sur quel mode (discours direct – discours indirect – verbes ou expressions comme dire vilain serment / laide parole / des paroles horribles et détestables, qui narrativisent la violence verbale), s’exprime cette violence. Le critère statistique est important pour ce type de support. En effet, nous partons de l’hypothèse que plus les insultes ou blasphèmes transcrits sont rares et originaux, moins ils ont la chance d’avoir été standardisés par le filtre rédactionnel. La standardisation, quant à elle, se manifeste sous forme de répétitions, modèles repris d’un document ou discours d’avocat à l’autre. Elle aboutit à un discours fortement « juridicisé », c’est‐à‐dire le plus éloigné du jaillissement primitif de la parole violente. Nous montrerons que ces standardisations sont malgré tout intéressantes car elles fournissent une sorte d’expression normée de la parole scandaleuse. Comme nous allons le montrer, l’étude du phénomène de la violence verbale ne peut se contenter de simples passerelles interdisciplinaires, elle nécessite la prise en considération de facteurs d’ordre historique, psychosocial et sociolinguistique. La spécificité de la démarche proposée réside donc dans le fait de ne pas séparer le terrain littéraire de la réalité juridique. Les approches choisies concourent à donner de l’invective des visions contrastées de nature à développer une conception plurielle de l’objet étudié. Tandis que l’approche juridique s’intéresse surtout aux effets de l’invective pour déterminer la gravité de la parole outrageante (gravité qui empêche parfois les greffiers de reproduire fidèlement la démesure verbale), l’approche par la voie littéraire vise surtout la capacité créative et la plasticité de l’invective, sa dimension ludique et son expressivité.

Domaines

Linguistique
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-04087574 , version 1 (03-05-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-04087574 , version 1

Citer

Sabine Lehmann. Violence verbale au Moyen Âge : de la performance littéraire au discours juridique. XIIe Congrès international de linguistique française : Marques d’oralité et représentation de l’oral en français, Universidad Complutense de Madrid, Oct 2018, Madrid, Espagne. ⟨hal-04087574⟩
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