Impact de la complexité phonétique du /ʁ/ en français langue seconde sur la qualité de réalisation des occlusives sourdes chez des locuteurs natifs de l’anglais : Corrélations entre durée du Voice Onset Time, (1) marqueurs électroencéphalographiques (EEG) et (2) profil psychométrique du locuteur
Résumé
Dans cette première expérience de mon travail de thèse, nous étudions dans quelle mesure la précision des productions phonétiques en L2 peut être perturbée par la présence dans la séquence à produire de phonèmes absents dans la L1 et donc plus complexes à planifier du point de vue moteur. L’hypothèse testée ici est que durant la phase de planification motrice de la parole, les phonèmes complexes de la L2, par exemple le /ʁ/ en français (phonème critique) pour des locuteurs anglophones, mobilisent plus de ressources attentionnelles, occasionnant ainsi une moins bonne réalisation des phonèmes présents dans le contexte, notamment au niveau du VOT des occlusives sourdes /p, t, k/. Plus précisément, nous prédisons que les valeurs moyennes de VOT seront plus longues, et donc proches de celles de l’anglais L1, en présence du /ʁ/ qu’en l’absence en raison d’un recours aux catégories phonétiques de la L1 (Il a dit le mot part sept fois vs Il a dit le mot patte sept fois). De plus, nous faisons l’hypothèse que cet effet sera modulé en fonction de la complexité de la syllabe porteuse (CVC vs CV) et de la distance en nombre de syllabes (de 0 à 2 syllabes) entre /ʁ/ et l’occlusive dont le VOT est mesuré. Afin d’élargir les contextes phonétiques étudiés, mais aussi de contrôler de possibles effets de la fréquence lexicale sur le phénomène examiné, nous envisageons d’enrichir le corpus avec des logatomes (p. ex., Il a dit pasara sept fois). Ceux-ci permettront de vérifier si l’effet observé est à la fois régressif (pasara) et/ou progressif (rasapa).
Si la planification de phonèmes absents dans la L1 est donc complexe en L2, alors nous devrions observer une modulation des marqueurs supposés signer cette étape du traitement moteur.
Pour rendre compte de l’allongement du VOT, plusieurs hypothèses explicatives seront proposées. D’abord, comme évoqué dans certains modèles d’acquisition de la phonétique L2 (cf Best, 1994), une explication en termes de recrutement des ressources attentionnelles sera considérée. Ainsi, durant la phase de planification motrice, une attention plus soutenue serait dirigée vers les phonèmes complexes, ceci au détriment des phonèmes environnants, satisfaisant ainsi un principe d’économie cognitive. Si tel est le cas, les marqueurs EEG associés aux processus attentionnels mais aussi à la planification motrice devraient être modulés par la présence du /ʁ/ dans la séquence. Ces marqueurs de planification et d’allocation de l’attention devraient alors corréler.
Toutefois, une hypothèse alternative peut être formulée. C’est celle du rôle des fonctions exécutives (FE). En s’appuyant sur le modèle des FE de Miyake et ses collaborateurs (2000) postulant trois fonctions exécutives principales, notamment l’inhibition, la flexibilité mentale, et la mise à jour des informations dans la mémoire de travail, nous chercherons à comprendre si l’un des marqueurs connus pour refléter ces FE est corrélé à la variation du VOT en présence de /ʁ/. Ainsi, c’est à partir de l’analyse des marqueurs EEG que nous pourrons déterminer si les variations qualitatives des productions dans la L2 trouvent plutôt une explication au niveau attentionnel ou plutôt au niveau du contrôle exécutif. L’ensemble de nos données statistiques sera examiné à la lumière des résultats obtenus par les participants bilingues dans des tests psychométriques permettant de mesurer leur capacité d’attention sélective et des FE.