Les discours aliénistes face à l’opinion publique à la fin du XVIIIe, entre promesses de réorganisation de la société, révolutionnaires pathologiques et assurances contre de « Nouvelles Bastilles ».
Abstract
A la fin du XVIIIe
siècle, la monarchie s’effondre et les sciences aliénistes s’élèvent.
Prolongeant les espoirs des Lumières de structuration rationnelle du monde social comme la
physique a montré les lois du monde naturel, ce corps de savoirs entre médecine anatomiste et
philosophie promet une réorganisation scientifique d’une société diagnostiquée en désordre
après la Révolution française. Les aliénistes, entre médecine et idéologie, sont souvent liés à
des nébuleuses intellectuelles influentes, comme les Idéologues ou les Physiocrates. Définissant
les parties malades du corps social dans une vaste nosographie, ils défendent l’amputation de
ces éléments pathologiques dont ils craignent la dangerosité immédiate et la force de contagion.
L’asile apparaît comme l’outil idéal, permettant d’isoler des personnes dont l’état mental est un
risque pour l’ordre public (termes de la loi de 1838) en facilitant leur étude scientifique et
thérapeutique.
Malgré l’influence de médecins reconnus comme Pinel, cette rhétorique médicale sur la
nécessité de réorganiser administrativement, politiquement et juridiquement la société sous
l’Empire ne peut compter sur la seule autorité scientifique pour s’imposer et se légitimer face à
l’opinion publique.
Une première stratégie est à chercher dans la symbiose des discours aliénistes avec la
narration napoléonienne des années révolutionnaires. Les médecins définissent avec des cadres
pathologiques les révoltes et scènes sanglantes de cette décennie. Les classifications mentales
se superposent sur un ordre social qu’il faut purger, guérir : de ses émeutières dont la dangereuse
hystérie se guérit dans le retour au rôle domestique du foyer, ou encore de ses foules aux allures
cannibales et irrationnelles qui inspireront grandement les psychologues des masses à la fin du
siècle suivant, annonçant le paradoxe démocratique constant du libéralisme au pouvoir au XIXe
siècle entre appel au peuple et peur de son irruption politique.
Une seconde concerne la pratique aliéniste concrète à l’asile, sur lequel plane l’effrayant
spectre des lettres de cachet. Une importante réflexion juridique va être menée et surtout
diffusée pour montrer le souci d’établir des dispositifs institutionnels évitant de « nouvelles
Bastilles ». Cette rhétorique rassurante occulte souvent les continuités administratives entre le
système d’enfermement des « insensés » par ordre du Roi sous l’Ancien Régime et les
nouvelles procédures d’internement.
La proposition entend revenir sur le discours aliéniste à la fin du XVIIIe
siècle comme
assurance scientiste d’apaiser et de stabiliser la société, grâce à une organisation rationnelle qui
isolerait le danger sans recours à un pouvoir abusif, arbitraire, et avec l’objectif suprême de
guérison. La communication s’appuierait à la fois sur une recension d’ouvrages et de rapports
de médecins aliénistes influents dans la période, et sur les archives de la célèbre Maison de
Charenton qui passe d’une administration religieuse acceptant des détenus « insensés » par
lettres de cachet à un statut d’établissement national sous contrôle direct du Ministère de
l’Intérieur après un temps de fermeture sous la Révolution française.