Depuis l'hypothèse piagétienne que langage et jeu de fiction sont deux manifestations d'une même capacité - la fonction symbolique ou sémiotique - plusieurs recherches ont étudié la relation entre le développement du langage et celui du jeu faire semblant. Peu sont par contre les études qui essaient de comprendre le rôle du langage dans le développement même du jeu et ceux qui posent la question d'un éventuel développement dans la manière d'utiliser le langage dans ce contexte. C'est cette dernière question qui fera l'objet de mon exposé.
Je vais montrer qu'en analysant la relation entre la nature du jeu mis en scène et le langage utilisé par l'enfant, on peut détecter un développement qui va de la mise en langage d'aspects "littéraux" du jeu de faire semblant à des utilisations de plus en plus distanciées de cette utilisation.
Ce développement est évidemment solidaire de la complexification du jeu en général. Mais, dans ce travail, je vais mettre en évidence un autre aspect, et en particulier que ce développement est en lien avec le développement d'une théorie implicite de l'esprit : tout en mettant en scène du jeu de faire semblant aux nuances plus complexes, l'enfant met en langage les aspects les plus subjectifs du jeu qui rendent sa signification accessible aux "spectateurs" de son jeu. Vu de ce point de vue, le jeu de faire semblant n'est plus seulement à la base de la théorie de l'esprit comme manifestation de la compétence à fabriquer des représentations duales. Associé à l'analyse du langage qui en fait partie intégrante, le jeu devient un outil d'évaluation d'une théorie de l'esprit implicite, permettant un aperçu, à la fois écologique et simple, de l'état de compétences chez l'enfant en matière de communication et de prise en compte du mental d'autrui, à un moment très précoce de son développement. Cette évaluation peut être renforcée par un bilan plus étendu visant à repérer chez l'enfant des conduites décontextualisées tels que les références au passé, au futur et aux états internes, ainsi que la capacité de fournir des justifications visant à changer les intentions ou le point de vue d'autrui.