Sur le milieu intérieur d’André Leroi-Gourhan et l’analyse de la taille de pierre au Paléolithique. - Université Paris Nanterre Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2004

Sur le milieu intérieur d’André Leroi-Gourhan et l’analyse de la taille de pierre au Paléolithique.

Jacques Pelegrin

Résumé

Les outils de pierre sont d'excellents témoins pour une analyse des performances techniques de nos ancêtres préhistoriques. Ils peuvent en effet rendre compte tout autant de simplicité ou maladresse que de la plus haute technicité. Stables et précises, les réactions du matériau sont en effet exigeantes, voire restrictives au premier abord. Mais leur stabilité même les rend prévisibles et ainsi maîtrisables, autorisant la prédétermination presque exacte de chaque enlèvement, et la combinaison de différents enlèvements jusqu'à un résultat très précis. Au prix d'une observation fine, l'ensemble du déroulement de la fabrication d'un outil peut être "lu" par le préhistorien, et se prêter à analyse, en s'appuyant sur la pratique expérimentale de la taille. Une telle analyse est ici proposée pour certaines activités de taille dites élaborées, qui apparaissent il y a plusieurs centaines de milliers d'années. Leur réalisation comprend plusieurs étapes, marquées par des changements d'opération ou de technique, et aboutit à des produits normalisés ou standardisés, selon des caractères indépendants de la morphologie et des propriétés du matériau. Leur point commun est d'apparaître non réductibles à des répétitions ou enchaînements fixes de gestes élémentaires, car elles imposent à la fois le respect d'une succession de formes-repères (images mentales d'états souhaitables), un suivi critique de l'évolution de la pièce, et la construction mentale de combinaisons d'actions élémentaires à la fois possibles et souhaitables. Ainsi peut-on distinguer, au sein du "milieu intérieur" d'A. Leroi-Gourhan, différents éléments psychologiques à l'oeuvre lors de telles activités de taille élaborées : 1une suite d'images mentales de formes géométriques (concepts), présentes à l'esprit du tailleur et sur lesquelles il guide sa démarche, 2une palette ou registre de connaissances (sur les matériaux, les outils) et de modalités d'action élémentaires (gestes techniques de base associés à leur résultat pratique), 3la capacité d'adapter et de combiner ces modalités d'action élémentaires, en imaginant leur résultat et la difficulté de leur réalisation, 4la capacité de programmation et d'exécution sensori-motrice de gestes de percussion adaptés. 1 et 2 sont des représentations mentales, de formes, d'objets et de gestes élémentaires. Il s'agit bien de connaissances, potentiellement explicites, portant sur des faits visibles qui peuvent être décrits, désignés, ou mimés. Perceptibles par l'observateur, ils peuvent être mémorisés très précocement par l'enfant qui assiste à l'activité des aînés. 3 et 4 reviennent plutôt à des opérations mentales, invisibles pour l'observateur, essentiellement implicites, très difficiles à représenter ou communiquer, et d'ailleurs pour une part inconscientes ou semi-conscientes. De fait, elles sont à peu près intransmissibles, leur acquisition reposant essentiellement sur la pratique personnelle. Il s'agit de savoir-faire, avec une distinction essentielle entre savoir-faire idéatoire (3) et savoir-faire moteur ou sensori-moteur (4). D'autres points viennent soutenir la réalité et la finesse de ces savoir-faire : l'analyse du façonnage de certains bifaces, l'observation d'apprentis-tailleurs, les conditions elles-mêmes de l'acquisition de tels savoir-faire, dont certaines opérations semblent affecter la structure d'un raisonnement propositionnel. En conclusion, les meilleures performances réalisées par les Paléanthropiens au sens de Leroi-Gourhan (H. erectus évolués, Néandertaliens) paraissent déjà de même niveau que celles de H. sapiens sapiens. Elles supposent une même compréhension technicienne, des raisonnements de même structure, une capacité d'attention identique. Parallèlement, et sans doute antérieurement à ces activités de taille élaborées (qui peut le plus peut le moins), d'autres chaînes opératoires semblent réductibles à la simple répétition d'un geste élémentaire, éventuellement ajusté au coup par coup, ou paraissent se guider sur la connaissance d'algorithmes simples appliqués à certaines configurations, y dictant une succession stéréotypée d'enlèvements. Les savoir-faire à l'oeuvre dans la fabrication des outils de pierre sont en fait une expression de capacités psychiques primitivement sélectionnées selon leurs conséquences en terme de comportement dans l'environnement et le cadre social. Cependant, nous proposons de voir dans l'acquisition et la pratique des savoir-faire, sous des formes extrêmement variées (divers métiers manuels et intellectuels, divers sports et jeux), l'expression d'une pulsion particulière de la nature humaine, dont l'accomplissement est aussi source de plaisir.
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  • HAL Id : halshs-01550942 , version 1

Citer

Jacques Pelegrin. Sur le milieu intérieur d’André Leroi-Gourhan et l’analyse de la taille de pierre au Paléolithique.. F. Audouze et N. Schlanger. Autour de l’homme : contexte et actualité d’André Leroi-Gourhan. , APDCA, 2004, 2-904110-39-9. ⟨halshs-01550942⟩
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