Off the subject of knowledge. Filiation and clinical research with disadvantaged people
Hors du sujet du savoir. Filiation et Filiation auprès d'un public désaffilié
Abstract
Dans ma recherche en sociologie clinique et psychosociologie auprès de femmes haïtiennes populaires, j’ai utilisé une approche biographique fondée sur des récits de vie et l’utilisation d’arbre généalogique. Le vécu et la parole de ces femmes portent à questionner les filiations et affiliations à différents niveaux. Mon objectif est d’en questionner quelques-uns dans ma communication.
D’abord, pour ces femmes ayant connu la migration, la question de « l’origine » est plus complexe que les enjeux géographiques. Elle concerne aussi les liens de parenté et pointe des incertitudes au niveau des filiations anthropologiques. La configuration familiale marquée par l’absence des hommes et l’abandon des pères est très répandue en Haïti. Comment ces femmes peuvent-elles travailler sur leur arbre généalogique si elles ne savent même pas qui est leur père ? Comment peuvent-elles raconter leur histoire quand le doute, le flou et l’incertitude marquent leur date de naissance ou leur nombre d’enfants? Quelle forme prend le roman familial quand on a la « liberté » de tout réécrire comme si on a été créé à partir de rien, quand le mythe des origines (de la fondation) est fait de trou, silence, ou "mensonge"? Le roman familial ne risque-t-il pas d’être romancé à l'extrême par manque de savoir? L’abandon paternel (avec des dimensions à la fois matérielles et symboliques) pose en plus la question des filiations institutionnelles (la famille étant une institution).
Ensuite, on pourrait questionner les liens entre cet abandon et le rapport au savoir, notamment les impacts des incertitudes dans la filiation familiale sur le savoir sur soi. Cela ne serait-il pas associé à la filiation épistémologique? Comment ces femmes répondent-elles aux questions qui se posent à elles : Qui je suis? D'où je viens ? Qui est mon père ? Quelle est l'histoire d’amour (de désir, de plaisir, de désamour) qui m'a engendrée? Comment accéder au savoir quand le savoir sur soi est à ce point "interdit"?
Par ailleurs, dans quelle mesure les outils méthodologiques classiques permettent-ils d’accéder au récit de ces femmes qui semblent parfois raconter une vie sans histoire? Les recompositions familiales font de leur arbre généalogique un «buisson anarchique », ce qui s'ajoute à d’autres complexités comme le rapport au temps, au corps, à l’écrit, à la langue, à la parole, qui caractérisent ces populations quelque peu "éloignées du savoir". Comment la science peut-elle les écouter ? Ma filiation scientifique à la clinique a-t-elle été suffisante pour écouter et penser ces « sujettes » ?
Et quand on considère l’implication dans la recherche, on pourrait se demander ce que ça fait à un-e chercheur-e de se pencher sur le vécu de populations aussi désaffiliées. Travailler sur des personnes hors du sujet du savoir ne rend-il pas le-la chercheur-e hors du sujet de la science ?
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