André Siegfried : un maître du débat public ? Cette proposition de communication a pour objectif d’étayer l’hypothèse mobilisée dans le cadre d’une recherche en cours selon laquelle les enjeux propres au champ politique sont déterminés dans le cadre de débats publics et d’arènes qui, dans certaines conditions, vont-elles-même se structurer et fonctionner comme les champs de la critique qui constituent, selon l’expression de Pierre Bourdieu dans ses cours du Collège de France sur Manet, des « pseudopodes » des champs de production artistique [Bourdieu, 2013]. En effet, ces derniers comme le champ politique, n’ont pu acquérir une autonomie minimale que parce que les agents impliqués dans les luttes politiques et/ou artistiques ont pu s’appuyer sur des agents en mesure de produire parallèlement une théodicée de ces combats. La fortune des catégories de « droite » et de « gauche » au sein du champ politique est dans ces conditions moins liée à une opposition sociale substantielle qu’à l’émergence d’un répertoire discursif à même de proposer aux profanes une lecture cohérente et constamment renouvelée de ces oppositions. Dans ce cadre, je me propose d’étudier l’activité éditoriale d’André Siegfried dont l’influence après 1945 est liée aux multiples positions qu’il occupait à la fois dans le champ académique et dans le champ journalistique. Alors que sa contribution à la géographie et à la sociologie électorale est désormais mieux connue [Bussi, Le Digol et Voilliot, 2016], son activité éditoriale est passée au second plan, pour une part en raison de la dispersion du corpus d’articles dont la plupart n’ont jamais été republiés [Sanguin, 2010]. Les modalités de l’activité éditoriale d’André Siegfried seront mises en regard de sa trajectoire sociale mais aussi des opportunités offertes par la conjoncture spécifique de la Quatrième République [Garrigou, 2017]. Comme l’a récemment souligné un de ses biographes, la concurrence était moins forte qu’aujourd’hui pour ce type de productions : « ce monde d’écrivains spécialisés ne croulait pas sous la masse et sa production écrite jouissait d’une visibilité immédiate » [Sanguin, 2010, p. 236.]. L’objectif de cette communication est donc double, à la fois évaluer la contribution propre d’André Siegfried à la définition des enjeux et au cadrage du débat public durant cette période et tester l’hypothèse exposée plus haut sur l’existence d’un champ de la critique politique. En effet, si l’expertise politologique, en particulier la manière dont elle s’exprime dans les medias durant les périodes électorales, est aujourd’hui banalisée et routinisée, elle ne l’est pas encore à cette époque et il est vraisemblable qu’André Siegfried a contribué plus que d’autres à définir les contours et les potentialités d’action d’une position qui, au nom de la liberté de commenter, permet de participer sans nécessairement le dire explicitement à la production de verdicts électoraux (qui a gagné les élections) et politiques (quelle légitimité à un Etat à intervenir sur la scène internationale) et à la formalisation des catégories qui servent à produire et à justifier ces verdicts.