Notre propos est de comprendre comment plusieurs échelles de solidarité existent, cohabitent ou se confrontent (Bioteau, 2018) dans les systèmes alimentaires et d’envisager leur agencement pour aller vers des systèmes alimentaires plus justes (Slocum et al., 2016). Les résultats sur lesquels nous nous basons sont issus des premières enquêtes de notre travail de thèse en géographie en Île-de-France (Hulot, en cours). Le couple solidarité et alimentation en France renvoie à plusieurs logiques d’actions. Ce sont tout d’abord des figures politiques qui se déclinent à différents niveaux (Europe / France/ Régions / territoires) ; c’est le développement des circuits courts pour une alimentation territoriale et durable ; ce sont enfin des solidarités familiales et liées à l’interconnaissance. La solidarité y est convoquée selon des acceptions différenciées : il s’agit de l’aide alimentaire, de l’alimentation durable, des aides à l’agriculture pour les politiques (les trois n’étant pas pensés ensemble) (Paturel, Ndiaye (coord.), 2021) ; de la proximité et durabilité pour les circuits courts (Chiffoleau, 2019) ; et enfin des formes de dons et d’échanges entre connaissances. À partir de l’étude d’acteurs habituellement peu mobilisés dans le cadre de la justice alimentaire (Hochedez, Le Gall, 2016), notre propos est de voir comment peut être mobilisée cette notion et ses grilles de lecture dans une approche critique de ces différentes échelles de la solidarité qui se construisent dans les systèmes alimentaires. Nous nous attacherons aux agriculteurs qui exercent dans les espaces ruraux et périurbains franciliens. La méthodologie est celle de récits de vie auprès d’agriculteurs de la Seine-et-Marne (Île-de-France, France). Des entretiens semi-directifs ont été menés afin de savoir ce que mangent les agriculteurs, quels sont les circuits et réseaux mobilisés, quelles sont leurs représentations de l’alimentation ; l’objectif étant aussi de connaître l’histoire de leur parcours et de leur exploitation. Le choix a été fait de rencontrer des agriculteurs de toutes les filières existant en Seine-et-Marne pour avoir un panel exhaustif de profils d’agriculteurs. L’analyse de la construction et de l’imbrication de ces niveaux de solidarité dans l’expérience des agriculteurs a été menée au regard d’une possible construction de systèmes alimentaires plus justes. Au niveau des politiques, il s’agit d’interroger comment du point de vue des agriculteurs, politiques alimentaires et politiques agricoles apparaissent plus ou moins cohérentes selon leurs profils et comment cela peut créer ou non des situations d’injustice. Les initiatives qui contribuent à créer des circuits courts créent des solidarités de fait entre agriculteurs inscrits dans la même démarche. Elles peinent toutefois à créer des espaces agri-alimentaires différents (Slocum et al., 2016), ces démarches étant imbriquées dans l’alternative et dans le conventionnel (Deverre, Lamine, 2010). Enfin, l’analyse des pratiques alimentaires des agriculteurs n’a pas mis en évidence de situations de précarité alimentaire dans lesquelles les agriculteurs mobiliseraient une aide alimentaire, familiale ou interpersonnelle, même si dons et échanges existent. Si le profil des agriculteurs rencontrés en constitue un élément d’explication, dans leurs discours l’alimentation paraît néanmoins en tension entre une acception de « bien commun » que l’on produit et du « bien de consommation courant » que l’on mange.