Cette communication propose de s’intéresser aux relations entre un quartier d’« habitats précaires » et les personnes venues s’y installer. Le quartier étudié s’appelle Hay Mohammadi, il se situe dans la métropole de Casablanca au Maroc. Hay Mohammadi a fortement marqué l’histoire sociale, politique et urbaine de la ville par son rôle de sas d’entrée et d’accueil de vagues migratoires et par sa tradition de résistance au pouvoir. Depuis le début des années 2010, il peut être qualifié de quartier d’« habitats précaires » en raison des conditions de vie dégradées et de la mise en place d’une politique d’« Habitat Menaçant Ruine » sur les secteurs où le bâti est le plus fragilisé. Au Maroc, ce programme ministériel permet le relogement de locataires du parc privé dont le logement est menacé d’effondrement. Le processus est néanmoins long et incertain. Durant ce temps, de nombreux locataires continuent d’arriver dans ce parc privé constitué majoritairement de chambres locatives situées dans des immeubles de deux à trois étages. Hay Mohammadi, aujourd’hui situé au cœur de la métropole, continue donc d’être habité malgré des conditions de vie dégradées. Cette communication propose de répondre aux interrogations suivantes : quels sont les profils de personnes qui continuent de s’installer dans ce quartier ? Dans quelle mesure ces profils nous renseignent sur les façons de prendre place dans la métropole aujourd’hui ? Une enquête ethnographique menée dans le cadre de ma thèse entre novembre 2018 et juin 2023 (dont vingt-six mois passés à Casablanca) a permis de mieux saisir les profils des habitants de ces chambres : une part importante étaient des femmes, avec ou sans enfants, venues de régions rurales ou d’autres quartiers de la métropole. Certaines avaient fui leur foyer après avoir subi des violences conjugales. Partant de ces observations, nous tenterons d’analyser la situation au regard de deux ensembles bibliographiques : celui relatif aux migrations féminines contemporaines d’une part (Bouasria, 2013; Roulleau-Berger, 2010), et celui relatif aux effets de la métropolisation sur des quartiers dégradés péricentraux d’autre part (Deboulet, 2022; Semmoud et al., 2014). Nous nous demanderons dans quelle mesure les parcours de ces femmes peuvent s’inscrire dans des formes de mobilités contemporaines, observables dans d’autres villes de méditerranée (Miranda, 2010) ? Puis, en dépit des multiples formes de vulnérabilités rencontrées, telles que la pauvreté monétaire, la précarité professionnelle et le mal-logement, nous nous demanderons s’il est possible de parler de processus d’autonomisation (Bouasria, 2020), dans la lignée des travaux de l’École de Chicago (Joseph & Grafmeyer, 2009) et d’Agnès Deboulet pour qui « la migration féminine, surtout en métropole, interroge directement la dimension d’individuation, c’est-à-dire un principe de transformation sociale basé sur la primauté de la trajectoire individuelle » (Deboulet, 2022, p. 39). Enfin, cette communication à vocation à s’inscrire dans l’atelier 4 « Étudier les mobilisations collectives et les résistances quotidiennes des habitants » dans la mesure où ces parcours témoignent de façons de prendre place dans la métropole, individuellement, et ce malgré le caractère inhospitalier et dégradé des lieux. Nous verrons en quoi ces parcours peuvent relever d’un « droit à la ville de fait » (Morange & Spire, 2019), qui prendrait place dans l’ordinaire et dans une forme d’individualisation de la lutte pour le maintien en ville (Didier & Philifert, 2019).