Le cancer en prison (CaPri)
Résumé
Cette recherche s’inscrit dans une triple perspective : médicale, épidémiologique
et sociologique. Elle mobilise des données statistiques nationales et repose
sur un terrain d’investigation qualitative constitué par deux des huit Unités
Hospitalières Sécurisées Interrégionales (UHSI) françaises. Les UHSI, qui
prennent en charge les hospitalisations de plus de 48 heures des personnes
détenues, représentent des lieux centraux pour le soin et le suivi des cancers.
Le panorama statistique s’appuie sur les données du Système National des
Données de Santé (SNDS) à partir desquelles a été distinguée l’activité des
UHSI. De 2011 à 2020, 2 082 patients atteints de cancer ont séjourné en
UHSI (médiane : 186/an). La tendance est stable, avec un taux d’incidence
de 0,24% de la population carcérale. Les caractéristiques socio-sanitaires des
personnes détenues sont marquées par des comportements addictifs et de
fortes comorbidités (notamment diabète, hypertension et dépression) qui
constituent autant de facteurs de risque. Parmi les différentes formes de
cancer, celui du poumon présente le plus grand nombre de cas (N = 332 ;
soit 16%). Arrivent ensuite : ORL (9%), prostate (7%), colorectal (6%) et vessie
(6%). Comparé aux données nationales, le cancer du poumon est largement
surreprésenté (16% contre 6%).
Les entretiens avec les patients-détenus ont éclairé tant la situation qu’ils
avaient connue au sein des établissements pénitentiaires que ce qu’ils vivent
au sein de l’UHSI où ils ont été rencontrés. Le concept de « trajectoire de
maladie » (Anselm Strauss) trouve, avec l’expérience du cancer en prison, un
terrain emblématique. Nous avons dénommé « trajectoire ascendante » les
situations où, pour les patients incarcérés atteints de cancer, la prison constitue,
nous ont dit certains d’entre eux, une « chance », parce que cette pathologie,
singulièrement lourde, n’avait pas été détectée avant l’incarcération. Nous
avons dénommé « trajectoire descendante » les situations où l’incarcération
a contribué, à l’inverse, à ce que le diagnostic et la prise en charge soit
particulièrement longs.
Même si des différences entre les UHSI investiguées ont pu être notées, la
dimension de ce type d’unité est propice à favoriser la communication entre
services, et, par là même, à prodiguer une attention particulière à des personnes
doublement vulnérables car soumises, d’une part, à une incarcération, d’autre
part à une pathologie lourde.
Séjourner en UHSI pour un cancer implique de nouvelles formes de
socialisation. Outre le fait d’être soigné pour une pathologie qui dans certains
cas était inconnue du patient, celui-ci doit également apprendre les codes et
les normes de ce nouvel espace relationnel.
Une des recommandations pourrait être de réfléchir à des dispositifs pour
accompagner les justiciables incarcérés malades, et d’insister, outre les aspects
médicaux, sur les formes de sociabilités nécessaires pour vivre le moins mal
possible le cancer en prison.