L’apparente antinomie entre un Nord riche et vertueux et un Sud pauvre et à l’abandon non seulement caractérise notre perception de l’espace socioculturel contemporain, mais encore elle oriente notre capacité à penser l’héritage des civilisations ancienne et moderne. Parce qu’ils recèlent des formules ou des expressions qui appartiennent au patrimoine culturel collectif, à la sagesse des nations, les grands classiques de la littérature italienne offrent un exemple plutôt éloquent de cette « téléologie discursive ». Légitimée par une double paternité unique en son genre, l’expression « Il Bel paese » a été créée par Dante et reprise par Pétrarque pour parler de la péninsule italienne, de la richesse de ses terres et de la beauté de son paysage. Au fil des siècles et à l’issue d’un processus d’hybridation entre culture haute et basse, elle finit par devenir tantôt auctoritas, tantôt une vérité « pop ». Si au XIXe siècle elle figurera dans le titre du célèbre livre pour enfants d’Antonio Stoppani, Il Bel Paese. Conversazioni sulle bellezze naturali, la geologia e la geografia fisica d’Italia, elle contribuera plus tard au succès d’un célèbre produit alimentaire industriel et, par ce biais, à la mythographie du « Made in Italy ». Cet article se propose d’analyser d’abord l’évolution de cette expression dans la culture italienne et européenne et de réfléchir ensuite à l’usage de cette locution dans l’espace médiatique contemporain en tant que puissant catalyseur qui favorise les lieux communs et les stéréotypes. De la célèbre formule joycienne in Finnegans Wake « illbelpaese » (‘ill’ pour ‘malade’) à l’installation artistique de Maurizio Cattelan intitulée The beautiful country, il semble être à l’œuvre une dimension polémique qui fait de cette locution un instrument de contestation dont la nature ambivalente, à mi-chemin entre norme et ironie, ne cesse de rejeter la construction d’une vision occidentale et impérialiste du monde.