Vérité et historicité : l'élaboration de la connaissance chez Pierre Bourdieu
Résumé
Le constat de Pierre Bourdieu, agrégé de philosophie ayant fait le choix de se tourner vers la sociologie, semble paradoxalement condamner sa propre activité de chercheur : « s’il y a une vérité, c’est que la vérité est un enjeu de luttes », écrit-il dans les Méditations pascaliennes. Le théoricien de la sociologie, versé à prouver la scientificité de sa discipline contre la méfiance du philosophe, semble se heurter à un obstacle de taille : si nous acceptons l’idée que toute connaissance est le fruit d’un contexte socio-historique (et donc potentiellement relativisable), comment le discours sociologique lui-même peut-il prétendre à une quelconque vérité ?
La « vigilance épistémologique » que Bourdieu souhaite manifester dans son travail, sous l’égide de Bachelard mais également de Kant, se comprend comme une attention accrue à l'élaboration sociale de la connaissance : l'activité du sociologue devient celle de la réflexivité, soit l'application des connaissances de la sociologie à la connaissance sociologique elle-même. Mais en affirmant ainsi une historicité radicale de la connaissance, y compris de la connaissance sociologique elle-même, la sociologie se condamne-t-elle à être raillée comme une pseudo-science ? Comment peut-on, chez Bourdieu, concilier prétention à la vérité et historicité des régimes de connaissance ?