Malgré quelques réalisations dans la migration, certaines femmes haïtiennes qui travaillent dans le secteur domestique et le care vivent un déclassement socioprofessionnel qui leur donne un sentiment d’échec. Elles définissent alors pour leurs enfants un projet parental fait d’excellence scolaire. La parentalité apparaît comme un moyen de « se réaliser », une stratégie individuelle pour faire face aux différents rapports sociaux. Il est donc fondamental d’analyser ce projet, la manière dont il est défini, en quoi il est déterminé par la trajectoire migratoire de ces femmes et leur déclassement dans un travail dévalorisé. D’où ma question de recherche : Comment se présente le projet parental chez les mères haïtiennes déclassées dans le service domestique et le care ? Ce projet peut rassembler plusieurs ambivalences, y compris son éventuelle inadéquation avec les conditions de vie des migrantes donc avec les moyens dont elles disposent pour sa mise en œuvre. En effet, la réalisation de ce rêve doit affronter plusieurs obstacles, particulièrement leurs propres conditions de travail qui les empêche de participer activement à l’apprentissage de leurs enfants ou de s’impliquer dans les mobilisations de parents. Les rapports sociaux de sexe, de classe, de race et Nord/Sud produisent le déclassement qui génère du mal-être, au niveau de l’articulation famille- travail notamment. Ce déclassement représenteraient à la fois les causes du projet parental d’excellence scolaire et en même temps le principal obstacle à sa réalisation. Je formule donc cette hypothèse : Le projet parental des mères travailleuses haïtiennes prend la forme d’un projet d’excellence scolaire, une réponse à leur déclassement socioprofessionnel qui représente pourtant le premier obstacle à sa réalisation. En mobilisant une épistémologie à la fois féministe et socioclinique, j’essaierai de saisir comment, en France, au Canada et aux États-Unis, elles réagissent aux contradictions marquant à la fois ce projet et sa réalisation. Cette approche permettra à la fois de regarder les rapports sociaux dans leur articulation mais aussi de comprendre comment ils s’expriment concrètement dans le vécu de ces femmes, les représentations qu’elles en font, les émotions qu’ils provoquent et ce que les femmes en font. Les registres à la fois micro, méso et macrosociologiques seront pris en compte dans cette recherche qui croise par ailleurs le quantitatif et le qualitatif. J’analyserai d’abord quelques éléments qui constituent ce projet pour mieux comprendre en quoi il n’est pas uniquement tourné vers les enfants mais reprend aussi la frustration de ces femmes face à l’échec migratoire et professionnel. Puis je regarderai l’idéal d’investissement défini par l’école et les contraintes des femmes tiraillées entre leurs rôles de mères et de travailleuses, pour montrer les difficultés de réalisation de ce projet. Finalement, j’approfondirai les stratégies individuelles ou collectives qui permettent à ces femmes d’affronter les contradictions liées à ce projet et sa réalisation, leur manière de « faire avec » les échecs et planifier des réussites.