La culture du rire, entre sociologie et anthropologie
Abstract
La sociologie de la culture, largement inspirée dans le monde francophone par le modèle de Bourdieu, nous a habitués à l’aborder avec le concept de champ, fondé sur l’opposition structurante entre le légitime et le non-légitime ; la sociocritique, elle, conduit à repérer dans les contenus et les formes textuels les indices idéologiques des tensions propres au discours social. Or le rire, qui se caractérise par l’intrusion d’un phénomène purement organique dans la sphère culturelle, semble échapper à ces divers jeux de force. Littéralement sans valeur mesurable, le rire (avec tous les procédés qui le provoquent : blague, calembour, histoire drôle, etc.) semble se situer dans un hors-champ, un en-deçà du social qui ne relève ni du non légitime, ni, a fortiori, du légitime. Le rire mène toujours à l’insignifiance : c’est pourquoi les spécialistes du comique se dépêchent de le replier sur la satire, qui offre l’avantage rassurant de réintégrer le rire dans la sphère des significations sérieuses et des idéologies. Mais en réalité, l’étude du rire oblige à faire l’hypothèse qu’il existe, en-deçà ou au-delà des catégories habituelles de la sociologie ou de l’histoire culturelle, des réalités culturelles qui ne sont interrogeables qu’avec les catégories de l’anthropologie. À partir de cas empruntés à la culture comique du XIXe siècle (littéraire, artistique et populaire), la visée de ce chapitre est donc théorique.