Depuis une dizaine d'années les demandes de censure à l'encontre d'oeuvres artistiques ou littéraires n'émanent plus seulement de groupes traditionnalistes prompts à dénoncer l’immoralité des oeuvres et l’atteinte aux valeurs traditionnelles mais de plus en plus souvent de communautés réunies par une même expérience, présente ou passée, de la stigmatisation, de la discrimination, des violences subies. Et les oeuvres mises en cause ne sont pas seulement ni même principalement celles qu'on accuserait de propager des préjugés ou un discours de haine : les demandes de censure visent aussi, de plus en plus souvent, les oeuvres d'auteurs dont les intentions ne sont pas suspectes mais auxquels on dénie le droit, parce qu'ils n'appartiennent pas à la minorité stigmatisée, de mettre en scène les violences qu'elle a subies. C'est là un des symptômes de la montée des revendications identitaires et de la radicalisation du combat antiraciste qui n'entend plus se limiter à la lutte contre les discriminations et les préjugés. La question des rapports entre la censure et les minorités se pose de ce fait, dans ce contexte renouvelé, avec une acuité particulière.