Anthropologie de l'invisible
Résumé
The invisible is constantly appearing. A motley collection of beings and things (or things we hesitate to recognise as beings) seems to exist in human worlds, as they burst into them. In the wake of their apparition event, they mobilise an array of measurement devices, establishment systems, all kinds of intercessors and other recognised mediators. It is to these invisible entities, and to the kind of anthropology they require of us, that this issue of Ateliers d’anthropologie is dedicated.
Of course, it is a matter of ghosts and spirits, those characters of social anthropology that have been recurring since its inception, who are named, welcomed or exorcised in a variety of ways through communities in which their reality is more or less willingly admitted. It is also a matter of other strange, disturbing or ambiguous phenomena, whose spectral, ghostly character seems to immediately determine their methods of anthropological treatment: divinities that suddenly manifest themselves, anonymous corpses that have not even taken the time to become ghosts, potentially hostile extra-terrestrial intruders, and other suspicious presences that proliferate in the shadow of conspiracies. But ethnography also encounters more ordinarily visible things, which are all the more difficult to grasp as apparition phenomena: carbon dioxide molecules that inspire love or fear, landscapes whose natural and cultural beauty must be institutionally supervised, the anecdotal observation of the possibility that every encounter between people, or between people and places, might actually have been predestined.
By ethnographically documenting the circumstances and conditions of the apparition of these things, by comparing—if only by virtue of their joint description—how their forms of existence might be analogous or the same, the case studies assembled in this thematic issue contribute to marking out the boundaries of an anthropology of the invisible and experimenting with its forces.
L’invisible ne cesse d’apparaître. Une collection hétéroclite d’êtres et de choses (ou de choses qu’on hésite à reconnaître comme des êtres) semble exister dans les mondes humains en tant qu’ils y font irruption. Ils mobilisent dans leur sillage, autour de l’événement de leur apparition, une batterie d’appareils de mesure, de dispositifs d’instauration, d’intercesseurs de tout poil et autres médiateurs patentés. C’est à ces invisibles, et au genre d’anthropologie qu’ils exigent de nous, que ce numéro de la revue Ateliers d’anthropologie est consacré.
Il y est question bien entendu de ces fantômes et esprits, ces personnages récurrents de l’anthropologie sociale depuis ses débuts, qui sont diversement nommés, accueillis ou exorcisés à travers les collectifs où leur réalité est admise plus ou moins volontiers. Il est question aussi d’autres phénomènes étranges, perturbants ou ambigus, dont le caractère spectral, fantomatique, semble déterminer d’emblée les modalités de leur traitement anthropologique : des divinités soudain manifestes, des cadavres anonymes qui n’ont pas même pris le temps de devenir revenants, des intrus extraterrestres potentiellement hostiles et autres présences suspectes qui prolifèrent à l’ombre des complots. Mais l’ethnographie rencontre aussi des choses plus ordinairement invisibles, qui n’en sont que plus délicates à saisir comme phénomènes d’apparition : des molécules de dioxyde de carbone dont on s’éprend ou dont on s’effraie, des paysages dont la beauté naturelle et culturelle doit être institutionnellement encadrée, le constat anecdotique de la possibilité que chaque rencontre entre des personnes, ou entre des personnes et des lieux, puisse en réalité avoir été prédestinée.
En documentant ethnographiquement les circonstances et les conditions d’apparition de ces choses, en comparant — ne serait-ce que par la vertu de leur description conjointe — ce que les modes d’existence de ces dernières peuvent avoir d’analogue ou même de commun, les études de cas rassemblées dans ce numéro thématique contribuent à tracer les limites et expérimenter les ressorts d’une anthropologie de l’invisible.