La poétique du banal : de l'indicible au risible
Abstract
La poétique du banal : de l'indicible au risible L'indicible insignifiance du quotidien. Pour un humoriste de spectacle, c'est un numéro classique, qui fait toujours son effet au lever de rideau. Il entre en scène et commence à se livrer à des actions totalement banales ; par exemple, il classe des papiers, s'assoit et se met à lire le journal, fait un peu de ménage, etc. Le public est d'abord un peu interloqué, puis il se met très vite à rire. S'il rit, c'est bien sûr qu'il est venu pour cela, puisqu'il a payé pour voir un humoriste. Mais s'il ne s'agissait pas d'un spectacle comique et qu'il était dans un théâtre plus sérieux, il imaginerait alors que ces gestes ordinaires cachent une philosophie profonde, un message existentiel : c'était le principe même du théâtre de l'absurde, dans les années cinquante. Dans les deux cas, le public est face à un problème qui exige de lui une solution immédiate : comment réagir face à une situation insignifiante, à laquelle il se sent provisoirement incapable d'accorder une valeur quelconque ? Il lui faut, toute affaire cessante, donner un sens à ce qui en paraît totalement dépourvu : ici, une leçon métaphysique ; là, une portée comique. L'ordre normal des choses est rétabli : il peut à nouveau se désoler ou s'amuser en paix. En effet, c'est une donnée que l'anthropologie et les sciences cognitives ont maintenant solidement établie 1. L'être humain, parmi les espèces vivantes, a ce pouvoir singulier de jouir du monde en spectateur. Il le fait parce qu'il a la capacité neuronale de reproduire en esprit cette réalité qu'il observe (c'est le principe des neurones miroirs 2) et qu'il ne cesse de fabriquer des scénarios imaginaires pour se l'expliquer à lui-même. Cette fictionalisation permanente et inconsciente (le « cinéma mental ») lui permet de faire face à toutes les interactions auxquelles il est confronté. Mais c'est elle aussi qui permet de comprendre la jouissance éprouvée face à toutes les fictions culturelles (théâtre, roman, films, fictions audio-visuelles). Platon et Aristote s'en étonnaient dans l'Antiquité et l'expliquaient par le plaisir suscité par le fait même d'imiter (quelles que soient les situations imitées, bonnes ou mauvaises) 3 : de fait, cette intuition philosophique préfigurait déjà les acquis les plus récents de la science. Mais cette capacité psychique a son corollaire : l'être humain, confronté à une situation quelconque, est pour ainsi dire naturellement contraint de l'intégrer à un système explicatif, de lui donner un sens, de la valoriser. Cette survalorisation du réel, c'est le principe même de la poétique de Balzac, dans La Comédie humaine. Balzac est en effet le contemporain d'un événement majeur de la littérature française (et
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